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Publié le 31 Mars 2024

 

 

 

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JOUR DE PÂQUES

Homélie du Très Révérend Père Dom Jean PATEAU

Abbé de Notre-Dame de Fontgombault

(Fontgombault, le 31 mars 2024)

 

 

Salve...Dies prima Salut, premier des jours !

(Séquence d’Adam de St Victor)

Chers Frères et Sœurs, Mes très chers Fils,

« Vanité des vanités, tout est vanité !... Ce qui a existé, c’est cela qui existera ; ce qui s’est fait, c’est cela qui se fera ; rien de nouveau sous le soleil » (Qo 1,2 ;9) se lamente Qohéleth. « Fumée de fumées, dit Qohélèt ; fumée de fumées, tout est fumée » traduit de manière imagée André Chouraqui.

L’histoire de l’humanité ne serait que vide, néant, dédale sans fin avec un retour inéluctable à la case départ. De la désobéissance de nos premiers parents Adam et Ève, et du meurtre d’Abel à la dernière victime des conflits fratricides qui ensanglantent sans fin notre terre, tout ne semble que néant. Tout ne semble que haine.

Cette lourde chape s’était abattue aussi sur les disciples du Seigneur il y a trois jours. Le soleil vient de se lever en ce lendemain de sabbat ; un soleil comme le soleil de tous les jours. Sur le chemin qui les mène vers le tombeau où le corps du Seigneur a été déposé, Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé, munies de leurs aromates, n’ont qu’une inquiétude :

«Qui nous roulera la pierre pour dégager l’entrée du tombeau ? » (Mc 16,3)

Cette pierre qui les sépare du Seigneur est lourde en effet, lourde de tout le mal de l’histoire humaine, lourde tout particulièrement de ce dernier crime, la mort de l’Innocent, la mort de celui qui s’était dit Fils de Dieu, pain de vie et source de salut. Un homme pourrait-il rouler cette pierre ?

Mais voici que la pierre est roulée. À la place du cadavre se trouve un jeune homme vêtu de blanc : « Ne soyez pas effrayées ! Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité : il n’est pas ici. » (ib. v.6)

Quelques pauvres mots chargés d’un grand mystère : ce que l’homme ne pouvait pas faire, Dieu l’a fait. L’heure de la réconciliation entre Dieu et l’homme a sonné. Ces quelques mots vont résonner de bouche en bouche sur toute la terre jusqu’à aujourd’hui : « Il est ressuscité. » «

Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager, celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle, qui annonce le salut, et vient dire à Sion : « Il règne, ton Dieu ! » (Is 52,7) annonçait le prophète Isaïe. La prophétie est accomplie. Des femmes en sont les ambassadrices.

Après être apparu à Marie-Madeleine et l’avoir appelée par son nom, aux disciples d’Emmaüs, à Pierre, Jésus apparaît enfin aux disciples : « La paix soit avec vous ! » (Jn 20,19)

Fumée de fumées, tout ne serait que fumée ? Non, ce jour n’est pas comme un autre jour. Ce jour est le jour que le Seigneur a fait ; le jour où la paix divine s’épanche sur la terre, un jour unique, un jour sans fin, le jour qu’espérait Qohéleth sans pouvoir l’imaginer.

Nous venons de le chanter en nous adressant au Christ : « Les tristes chaînes de la loi infernale se sont rompues ; le chaos s’épouvante d’être terrassé par votre visage de lumière. » (Hymne Salve festa dies, str. 7) Vivons à la lumière de ce jour sans fin.

Il faut reconnaître pourtant que pour beaucoup d’hommes et de femmes, il en sera de ce jour comme d’hier et comme de demain. Il en allait ainsi pour les contemporains des apôtres en ce matin de Pâques. Il en va ainsi aussi pour nous quand nous manquons de foi.

Au vu de la situation dans le monde, dans l’Église, parfois dans nos familles et dans nos communautés, la tentation demeure grande de faire chorus avec Qohéleth : « Vanité des vanités, tout est vanité ! » (Qo 1,2)

N’avançons pas sur ce chemin. Ne laissons pas la petite musique du murmure, de la désespérance, répandre ses harmonies maléfiques dans notre cœur.

En ce matin de Pâques, le Seigneur nous offre sa paix ; cette paix que les anges avaient annoncée dans la nuit de Noël : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’il aime. » (Lc 2,14) La preuve est donnée de cet immense amour. Il a donné sa vie pour nous.

Cette paix, c’est celle que le Seigneur a promise à ces disciples : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. » (Jn 14,27)

Non, cette paix n’est pas une paix éphémère, une paix de compromis. Cette paix féconde se déploie dans le don d’une nouvelle vie :

Si par le baptême qui nous unit à sa mort, nous avons été mis au tombeau avec lui, c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, comme le Christ qui, par la toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts.

(Rm 6,4)

Cette paix, notre devoir est de la partager. « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. » (Mt 5,9)

Aussi, nous allons l’implorer dans une prière universelle particulièrement ornée pour la sainte Église catholique, pour le Saint- Père et ceux qui l’entourent dans sa tâche de gouvernement et d’enseignement, pour les évêques, les prêtres et tous les ministres, pour la conversion des peuples et leur tranquillité, et enfin pour notre propre cité, pour notre pays et ses habitants.

En ce matin de Pâques, le Seigneur nous invite au don de la paix. Quel est celui, membre de ma famille, de ma communauté, de mes amis, de mes collègues, qui a le plus besoin du don de la paix ? La mission nous incombe de faire mentir Qohéleth. Non ! Tout n’est pas vain. Tout ne mène pas au désespoir. Aux ténèbres du Vendredi saint succède la lumière éclatante du Christ glorieux triomphant du tombeau. Et cette lumière veut éclairer aussi ma vie, pourvu que je l’accueille.

Envers qui le Seigneur m’appelle-t-il à devenir ambassadeur de sa paix ? Rien de nouveau sous le soleil ? Non, il n’en sera pas ainsi pour celui qui marche à la lumière du Christ ressuscité.

Il n’en allait pas ainsi pour la Vierge Marie. Les évangélistes demeurent discrets sur sa présence, sur sa place en ces heures. Il est de tradition de croire que le Seigneur a réservé pour sa Mère sa première visite. À celle qui n’avait pas perdu la paix, le Christ ressuscité est venu offrir un surcroît de paix. Aussi Marie mérite- t-elle le titre de Regina Pacis – Reine de la Paix. Cette paix, elle s’en est fait messagère comme à l’Île-Bouchard le 11 décembre 1947 : « Je donnerai du bonheur dans les familles. »

Puissions-nous recevoir ce bonheur qui vient du ciel et l’annoncer  aux confins de la terre. Alors ce sera vraiment Pâques pour nous, pour le monde, le passage de la mort à la vie, des ténèbres à l’éternelle lumière.

Le Christ est ressuscité. Il est vraiment ressuscité.

Saintes Pâques, Amen, Alleluia.

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Rédigé par Philippe

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Publié le 29 Mars 2024

 

 

 

 

 

Les heures que nous vivons au rythme de la liturgie, nous mettent en présence de deux univers radicalement opposés : celui de la haine, celui de l’Amour.

Il y a le monde dans ce qu’il a de plus bas, de plus vil. Le monde qui s’acharne sans pitié sur l’Innocent et qui décide arbitrairement qui doit vivre et qui doit mourir : Jésus ou Barabbas.

Au cœur de ce monde, et alors qu’au-delà des murs de la salle du Cénacle le complot visant à le faire mourir se noue, Jésus réunit ses disciples et leur lègue un Testament vivant, le plus bel héritage qui puisse être : son Corps et son Sang. Cet héritage, le Seigneur le livre dans un écrin : le repas pascal et le long discours qui le conclut. Revivons ces instants.

Jésus commence par envoyer Pierre et Jean : « Allez faire les préparatifs pour que nous mangions la Pâque. »

Ceux-ci répondent : « Où veux-tu que nous fassions les préparatifs ? » Jésus les invite alors à suivre un homme portant une cruche d’eau. Dans la maison où il entrera, eux aussi entreront et ils diront au maître de maison : « Le maître te fait dire : “Où est la salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ?” » (v.11)

Comment ne pas penser aux noces de Cana, au début de la vie publique du Seigneur ? Là, l’eau des cruches a été changée en vin. L’heure est venue désormais, où ce qu’annonçait le premier signe de Jésus doit s’accomplir pleinement. L’époux et l’épouse de ces noces d’un genre nouveau, ce sont le Christ et l’Église ; ce sont le Christ et l’humanité. L’heure est venue où le Seigneur scelle la Nouvelle Alliance entre Dieu et l’homme par l’offrande de son Corps et de son Sang, en s’offrant à son Père comme la véritable victime pascale.

Cette Pâque est la dernière que le Christ mangera avec ses disciples : « Jamais plus je ne la mangerai, jusqu’à ce qu’elle soit pleinement accomplie dans le royaume de Dieu... Jamais plus je ne boirai du fruit de la vigne, jusqu’à ce que le royaume de Dieu soit venu. » (Lc 22,16;18) leur dit-il. Le Christ accomplit sa Pâque, et celle-ci s’achève dans la venue sur terre du royaume de Dieu. Désormais, tout homme pourra communier à la Pâque du Seigneur, être baptisé de son baptême, être nourri de son Corps et de son Sang. En cette Alliance, Dieu pardonne, c’est-à- dire passe outre nos péchés et nous réconcilie avec lui.

« Pascha nostrum immolatus est Christus – Notre Pâque a été immolée, c’est le Christ », chanterons-nous le jour de Pâques. (1 Co 5,7)

Malgré ce contexte solennel, les disciples réunis autour du Seigneur se querellent pour savoir celui qui est le plus grand parmi eux. Tel est le cœur de l’homme. Il est très probable que c’est à ce moment, que le Seigneur a accompli envers chacun le geste significatif du lavement des pieds. Dure leçon pour tous. Ce geste apparaît cependant comme une étape incontournable vers la communion au Corps et au Sang du Seigneur.

Saint Paul fait écho à cet enseignement en s’adressant à ses Corinthiens, dans les versets qui précèdent l’épître que nous venons d’entendre et le récit de l’Institution :

Quand votre Église se réunit, j’entends dire que, parmi vous, il existe des divisions, et je crois que c’est assez vrai, car il faut bien qu’il y ait parmi vous des groupes qui s’opposent, afin qu’on reconnaisse ceux d’entre vous qui ont une valeur éprouvée. (1 Co 11,18-19)

Communier, c’est vouloir vivre de la vie de Dieu, et vivre de la vie de Dieu implique de vivre en cohérence avec les enseignements de Dieu qui, dans le Christ, s’est fait serviteur et a offert sa vie pour ses amis. « Faites cela en mémoire de moi. » (ib v.24 et 25)

L’institution des sacrements de l’eucharistie et de l’ordre s’achève par un long discours rapporté par saint Jean. Retenons de ces enseignements que l’appartenance à l’Église se fait dans la communion au Christ. Il est la vigne, nous sommes les sarments. Le Christ n’est pas divisé contre lui-même. En lui, nous sommes et nous devons être un. Entendons cet appel à favoriser l’unité au sein de l’Église par nos actes et nos paroles.

Après ce moment unique d’intimité, il est temps de gagner le Mont des Oliviers. Bientôt Judas arrive avec la troupe. Les disciples se dispersent. Que restera-t-il du testament de Jésus ?

Qu’en sera-t-il aussi pour nous ce soir ? Qu’en est-il à chaque fois que nous recevons le Corps et le Sang du Christ ? Demeurons-nous en Dieu ? Dieu demeure-t-il en nous ? Sommes-nous un dans le Christ, serviteurs de son amour ?

Dom Delatte, troisième Abbé de Saint-Pierre de Solesmes, écrivait :

La transsubstantiation qui s’accomplit sur l’autel entre les mains de chaque prêtre, entre nos mains, met le Seigneur à la portée de chacun. Encore nous faut-il observer que la conversion merveilleuse qui s’accomplit sur l’autel n’est pour le Seigneur qu’un moyen. Elle est ordonnée à une autre transsubstantiation, définitive, celle-là : « sicut misit me vivens Pater, et ego vivo propter Patrem : et qui manducat me, et ipse vivet propter me. – De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. » (Jn 6,57)  Le Seigneur ne vient en nous que pour nous changer en lui. Celui qui est acte [il s’agit de Dieu] ne peut être simplement témoin et spectateur. Il a pour dessein d’orienter et de gouverner lui-même notre vie et notre activité, de nous transformer spirituellement en lui, et de nous transsubstantier à notre tour : « qui adhæret Domino unus spiritus est. Celui qui s’unit au Seigneur ne fait avec lui qu’un seul esprit. » (1Co 6,17)

(Dom DELATTE, Notes sur la vie spirituelle, ch. 3, VII.2, § 181)

Pour autant, cette transformation spirituelle en Dieu, cette vie de Dieu qui veut venir en nous, ne peut se faire sans nous.

En ces jours saints, alors que le Seigneur va se reposer au tabernacle et qu’il nous invite à veiller à ses côtés, à nous unir à son agonie tout particulièrement en cette nuit, prenons un peu de temps pour Dieu. Rappelons l’exhortation de saint Anselme citée par le Pape François dans l’homélie du mercredi des cendres :

Fuis un moment tes occupations, cache-toi un peu de tes pensées tumultueuses. Rejette maintenant tes pesants soucis, et remets à plus tard tes tensions laborieuses. Vaque quelque peu à Dieu, et repose-toi quelque peu en Lui. Entre dans la cellule de ton âme, exclus tout hormis Dieu et ce qui t'aide à le chercher ; porte fermée, cherche-le. Dis maintenant, tout mon cœur, dis maintenant à Dieu : « Je cherche ton visage, ton visage, Seigneur, je le recherche. » (Proslogion, 1)

En ces heures qui nous séparent de la grande vigile pascale, recevons le commandement nouveau comme la boussole de notre vie. Recevons la force de l’accomplir dans une communion renouvelée au Corps et au Sang du Seigneur : « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. » (Jn 13,34)

Amen.

 

 

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Rédigé par Philippe

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Publié le 26 Décembre 2023

 

 

 

 

 

 

 

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Laissons-nous donc, en ces saints jours, illuminer par la splendeur vivifiante du Verbe de Dieu incarné. Accueillons la vraie paix qui vient du ciel et que le monde attend de nous. Nous n’épuiserons pas le mystère de cette naissance. Laissons-nous nous épuiser dans son adoration. Apprenons de Marie, la Vierge du sourire, à faire de notre vie un sourire à Dieu, une adoration sans fin de son mystère.

Christus natus est nobis. Venite adoremus. Saint et joyeux Noël. Amen, Alléluia.

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Rédigé par Philippe

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Publié le 8 Décembre 2023

 

 

 

 

nd de Lourdes à Fontgombault 

 

 

L’Église chaque soir à l’office des vêpres nous fait entonner le Magnificat. « Le Puissant fit pour moi des merveilles. Saint est son nom ! » (Lc 1,49)


Oui, le Puissant a fait pour Marie des merveilles, mais Marie pour le Tout-Puissant, et pour nous aussi, a fait des merveilles en laissant fructifier les dons de Dieu.

Son œuvre n’est toujours pas achevée. Au terme de sa vie sur la terre, portée corps et âme au Ciel par les Anges, elle intercède pour nous afin que nous soyons délivrés de toute faute, comme nous le fait demander la secrète de cette Messe.


À quelques semaines de Noël, la fête de l’Immaculée Conception s’inscrit comme en prélude aux merveilles à venir que Dieu va accomplir à travers son incarnation.
Ces bonnes nouvelles sont pour nous, et pour tous les
hommes de notre temps. Annonçons-leur que Dieu se penche
sur toute vie humaine dès son commencement. « Sa miséricorde
s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. » (Lc 1,50) Invi-
tons-les sans relâche à le bénir et à proclamer la sainteté de son
nom. De lui, tout homme reçoit la vie, le mouvement et l’être. (cf. Act 17,28)


Que Notre-Dame, Immaculée Conception, la « Comblée de grâce », nous conduise par un chemin sûr vers la cité céleste afin que, voyant Jésus, nous goûtions aux joies de l’éternité.
Amen.

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Rédigé par Philippe

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Publié le 8 Novembre 2023

 

 

 

"Bienheureux les morts qui meurent dans le Seigneur. Notre prière se résume à implorer cette grâce : mourir dans le Seigneur. La mort pour le chrétien n’est donc pas un instant solitaire. Elle est appelée à être vécue avec Jésus, en communion avec lui.

Elle doit se vivre aussi avec Marie, Notre-Dame du bien mourir, celle que nous invitons si souvent à prier pour nous « maintenant et à l’heure de notre mort. »

Enfin, c’est toute la cour céleste, en particulier notre Ange gardien, notre saint patron, ceux que nous connaissons et qui nous ont précédés qui intercèdent pour nous.

Mais la mort n’est pas que l’affaire des puissances célestes. Nos proches, selon les dispositions de la Providence, sont appelés à nous assister, fortifiant notre espérance qui parfois peut défaillir jusqu’aux portes de la mort, ce moment où terre et ciel sont si proches. Au delà de la souffrance de la séparation, il leur revient d’abandonner, de remettre à l’infinie miséricorde de Dieu celui ou celle qu’ils ont reçu, il y a parfois bien longtemps, à titre d’époux, d’épouse, de père, de mère, de frère, d’ami.

Comme l’affirmait le Père Sertillanges :

La famille ne se détruit pas; elle se transporte.- Une part d'elle va dans l'invisible... Fidèles, nous ne laissons pas de places vides ; l'amour et l'espérance les occupent, et, par eux, nos aimés sont là. On croit que la mort est une absence, quand elle est une présence secrète. On croit qu'elle crée une infinie distance, alors qu'elle supprime toute distance en ramenant à l'esprit ce qui se localisait dans la chair. (Nos disparus, p.10)

L’instant de la mort, porte de la vie, de la vraie et définitive vie en Dieu, est un instant sacré. Il se prépare. Il se cultive, et cette culture se fait durant le temps de la vie. Mort et vie sont intime- ment liées. Si la mort perd son sens, alors la vie perd aussi le sien. Il n’est pas difficile de comprendre alors pourquoi l’Église a choisi des passages du discours sur le Pain de vie comme évangiles de la deuxième et de la troisième Messes de ce jour :

Telle est la volonté de Celui qui m’a envoyé : que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour. Telle est la volonté de mon Père : que celui qui voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. (Jn 6,39-40)

Cette volonté du Père passe à travers le don qu’il fait de chacun de nous au Fils. « Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire, et moi, je le ressusciterai au dernier jour, » affirme Jésus. (v.44) Et cette union avec le Christ se nourrit et s’accomplit dans la communion :

Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. (Jn 6,53-54)

Évoquer la mort des chrétiens en Dieu ne doit pas nous faire oublier la volonté de Dieu que tous les hommes soient sauvés. (cf. 1 Tm 2,4) Le monde, de plus en plus étranger au sens chrétien de la mort, considère celle-ci  comme un point final, conclusion d’une existence qui allait s’épuisant, d’une existence qui semble ne servir à rien. A la miséricorde de Dieu, on substitue une pseudo-miséricorde à la mode du monde, la grâce supposée d’une mort heureuse assurée par l’euthanasie.

L’Église accompagne le mourant. Le monde le regarde mourir, quand il ne lui procure pas la mort.

Que dire aussi de l’avortement, alors que notre pays semble se préparer à introduire dans sa constitution un droit à l’avortement ? Lourde responsabilité pour les législateurs, qui abandonnent les plus faibles en attribuant « à la liberté humaine un sens pervers et injuste, celui d'un pouvoir absolu sur les autres et contre les autres. » ( Jean Paul II, Evangelium vitae, n°20).

Que peut faire l’Église ? Elle pleure et elle prie. Elle confie à la miséricorde de Dieu les victimes de la « culture de mort » qui enserre toujours plus le monde, afin que Dieu leur offre au plus vite le Ciel. Elle prie aussi pour la conversion et le salut de tant d’hommes et de femmes qui font le mal en tuant leur prochain.

 

 

 

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Rédigé par Philippe

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Publié le 2 Novembre 2023

 

 

 

+ TOUSSAINT

Homélie du Très Révérend Père Dom Jean PATEAU

Abbé de Notre-Dame de Fontgombault

(Fontgombault, le 1er novembre 2023)

 

 

Chers Frères et Sœurs, Mes très chers Fils,

Situé entre Capharnaüm et Génézareth, le Mont des Béatitudes offre au pèlerin une vue splendide sur le lac de Tibériade et les monts environnants. Le regard embrasse la Terre Sainte devenue pour beaucoup aujourd’hui... et depuis si longtemps... un enfer. Là se trouvent tout à la fois des pauvres de cœur, des hommes qui pleurent, qui ont faim et sont assoiffés de justice. Là se trouvent aussi des doux, des miséricordieux, des artisans infatigables de paix.

C’est là que les paroles du Seigneur prononcées au début de sa vie publique ont retenti. Depuis, les Béatitudes ont traversé les siècles, toujours actuelles. Premier enseignement du Seigneur rapporté par saint Matthieu, elles sont la norme de la morale chrétienne.

Avant d’entreprendre un voyage, il est souhaitable de s’entendre sur la destination. « Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse car votre récompense est grande dans les cieux ! » (Mt 5,12)

La récompense, le terme du voyage, c’est le ciel, le royaume des cieux, la vision de Dieu face à face, la béatitude éternelle.

Mais qu’en est-il du voyage ? Ressemble-t-il à ces croisières touristiques qui, après quelques jours de plaisirs futiles, reconduisent leurs passagers au point de départ avec l’amertume de l’incontournable retour au quotidien ? Il ne semble pas. La vie n’est pas une distraction passagère, elle est un chemin accepté et parfois difficile vers l’éternité.

Le Seigneur ne cache pas que la quête de la béatitude engage l’homme sur une route exigeante : le chemin de la sainteté. Celui qui veut répondre à l’appel du Christ et le suivre dans cette voie est invité à pratiquer la charité dans la vérité, et ce dans toute situation où il se trouve. Faire un tel choix et s’y tenir dans la durée n’est pas si facile.

Ainsi, Benoît XVI enseignait dans l’encyclique Spe Salvi :

Souffrir avec l'autre, pour les autres ; souffrir par amour de la vérité et de la justice ; souffrir à cause de l'amour et pour devenir une personne qui aime vraiment – ce sont des éléments fondamentaux d'humanité ; leur abandon détruirait l'homme lui-même... Nous en avons besoin pour préférer, même dans les petits choix de la vie quotidienne, le bien à la commodité – sachant que c'est justement ainsi que nous vivons vraiment notre vie. Disons-le encore une fois : la capacité de souffrir par amour de la vérité est la mesure de l'humanité ; cependant, cette capacité de souffrir dépend du genre et de la mesure de l'espérance que nous portons en nous et sur laquelle nous construisons. Les saints ont pu parcourir le grand chemin de l'être-homme à la façon dont le Christ l'a parcouru avant nous, parce qu'ils étaient remplis de la grande espérance. (n°39)

Préférer le bien à la commodité parce que nous sommes animés de cette grande espérance, c’est prendre le chemin en apparence banal, mais en fait très exigeant de la béatitude. L’âme de la vie chrétienne, c’est l’espérance.

Évoquons l’homme rencontré par Jésus au détour d’un chemin et qui lui demanda : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » (Mc 10,17) La question témoigne d’une attente, et le Seigneur répond en deux temps.

D’abord, il l’invite à la pratique des commandements, qui, même lorsqu'ils sont des interdits, sont toujours des paroles de vie. Connaître et fréquenter l’Écriture Sainte, le Catéchisme de l’Église Catholique, faire le nécessaire pour les comprendre, pour les accueillir et enfin les mettre en pratique, apparaît pour nous comme une première réponse à l’invitation du Seigneur. L’homme riche avait déjà compris cela : « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse. » (v. 20) Pourtant cet homme aspire à plus.

Jésus ajoute : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. » (Mc 10,21)

Le Pape Benoît, devenu émérite, écrivait à l’occasion du centenaire de la naissance du pape saint Jean-Paul II :

L’expression « vertu héroïque » ne signifie pas une espèce d’exploit olympique, mais bien que, dans un fidèle, se révèle quelque chose qui ne vient pas de lui et qui rend l’œuvre de Dieu visible en lui et à travers lui. Il ne s’agit pas d’une compétition morale, mais de renoncer à sa propre grandeur. Ce qui est en cause, c’est qu’une personne laisse Dieu travailler en elle, et ainsi le travail et la puissance de Dieu deviennent visibles à travers elle. (Lettre du 18 mai 2020).

Laisser Dieu travailler en soi, c’est non seulement ne pas poser d’obstacle à la grâce, mais c’est s’abandonner à son action. C’est accepter de se laisser dépouiller par elle tout en demeurant certain que Dieu ne délaisse jamais celui qui le cherche en vérité dans ce qui pourrait ressembler à une impasse, selon ce que nous chantions dans le graduel : « Craignez le Seigneur, vous tous qui êtes ses saints ; car rien ne manque à ceux qui le craignent. Ceux qui cherchent le Seigneur ne seront privés d’aucun bien. »

Ainsi, par la grâce de Dieu, le lieu des souffrances les plus atroces est appelé à devenir un lieu de quête de l’éternité, un lieu de louange à travers l’œuvre des saints. Pensons par exemple à saint Maximilien-Marie Kolbe, enfermé dans le bunker de la faim du camp d’Auschwitz-Birkenau et exhortant ses neuf compagnons à attendre la mort dans la dignité. Pensons aux hommes et aux femmes, aux religieux et religieuses, aux prêtres qui aujourd'hui dans Gaza assiégée offrent leur vie pour accompagner parfois vers la mort leurs frères et sœurs en huma- nité. « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau, et je vous soulagerai, » proclame le verset de l’Alleluia.

La douceur, la miséricorde, la paix sont toujours à l’ordre du jour du disciple du Christ et doivent rayonner de sa personne. Celui qui est en paix avec Dieu est missionnaire de cette paix. N’oublions pas que si les béatitudes ouvrent l’enseignement du Seigneur, elles se poursuivent dans un puissant appel à la mission :

Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, comment lui rendre de la saveur ?... Vous êtes la lumière du monde... De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. (Mt 5, 13-14 ;16-17)

Avançant sur le chemin exigeant de la sainteté, nous pouvons compter sur l’intercession de nos frères du ciel, et en particulier de Notre-Dame et mère, la Reine des saints. Avec sainte Berna- dette, redisons avec confiance :

Fiat...pour la vie. Fiat...pour la souffrance. Fiat...pour la mort...Fiat, toujours, ô Mère, en votre doux cœur.

Amen.

 

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Rédigé par Philippe

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Publié le 17 Octobre 2023

 

 

 

 

 

 

+ DÉDICACE

Homélie du Très Révérend Père Dom Jean PATEAU

Abbé de Notre-Dame de Fontgombault

(Fontgombault, le 12 octobre 2023)

 

 

Hodie in domo tua oportet me manere.

Aujourd’hui en ta maison, il me faut demeurer. (Lc 19,5)

Chers Frères et Sœurs, Mes très chers Fils,

Comment interpréter la demande du Seigneur? Ne manque-t-elle pas de discrétion ? Le Seigneur semble pressé : « Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. » Le chef des publicains et collecteur d’impôts s’exécute sans prendre le temps de réfléchir, et en grande joie reçoit le Seigneur en sa demeure.

Mais quelle est donc cette demeure ?

Sa demeure, son repaire plutôt, c’est le lieu où Zachée a entassé les espèces que lui et ses fondés de pouvoir avaient pour mission de collecter en lieu et place des Romains. Cette œuvre, il l’avait choisie. Il en avait même acquis l’office à grand prix auprès des dirigeants. S’avilir en travaillant au service de l’occupant ne pouvait que susciter un profond mépris de la part de ses frères de race. A cela s’ajoutait l’usage de réclamer plus que le dû. Les publicains apparaissaient donc comme des fraudeurs qui s’enrichissaient aux dépens des contribuables. Déjà saint Jean Baptiste les avait invités à s’examiner sur ce point et à agir avec justice : « N'exigez rien de plus que ce qui vous est fixé. » (Lc 3,13) Mais eux n’en avaient cure. L’argent, le profit était leur dieu. Aucun souci pour eux, ni du prochain, ni de Dieu, le juste juge.

Le fait que Jésus s’intéresse à de tels hommes était donc susceptible d’étonner et lui vaudra à plusieurs reprises des critiques : « Pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains et les pécheurs ? » (Mt 9,11) susurrent les pharisiens. Ce reproche advient précisément dans cette circonstance, alors que Jésus a invité un homme du nom de Matthieu, assis à sa table de collecteur d’impôts à le suivre.

Le Seigneur avait alors répondu :

Ce ne sont pas les gens bien-portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Allez apprendre ce que signifie : Je veux la miséricorde, non le sacrifice. En effet, je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. (Mt 9,12-13)

Comme Matthieu a quitté sa table pour suivre Jésus, Zachée, lui, a quitté sa maison pour venir simplement voir Jésus. Il n’ose se joindre à la foule. Sa taille l’en empêche. Peut-être surtout est-il étreint par la honte ? Tous, ils ne le connaissent que trop. Peut-être même en ont-ils peur ?

Pourtant, ces premiers pas vers Jésus attestent de la puissance de la grâce à l’œuvre dans le cœur de Zachée !

Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur... Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre.

Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent.

(Mt 6,21 ;24)

Zachée a donc renoncé à son dieu et chemine vers le vrai Dieu. Le vrai bonheur, il ne l’avait pas encore trouvé. Son cœur avait besoin d’être consolé de sa solitude. Et comme tant d’autres dont le souvenir a été conservé par l’Évangile, c’est auprès de Jésus qu’il a l’intuition de pouvoir trouver la réponse qu’il attend. C’est auprès de lui qu’il croit pouvoir réellement édifier ou réédifier sa maison.

Mais voir Jésus ne suffit pas :

Pourquoi m’appelez-vous en disant : “Seigneur ! Seigneur !” et ne faites-vous pas ce que je dis ? Quiconque vient à moi, écoute mes paroles et les met en pratique, je vais vous montrer à qui il ressemble. Il ressemble à celui qui construit une maison. Il a creusé très profond et il a posé les fondations sur le roc. Quand est venue l’inondation, le torrent s’est précipité sur cette maison, mais il n’a pas pu l’ébranler parce qu’elle était bien construite.

Mais celui qui a écouté et n’a pas mis en pratique ressemble à celui qui a construit sa maison à même le sol, sans fondations. Le torrent s’est précipité sur elle, et aussitôt elle s’est effondrée ; la destruction de cette maison a été complète. (Lc 6,46-49)

La maison construite sur le roc ou sur le sable, ne serait-ce pas la vie humaine ? Construire sur le sable, c’est établir sa vie sur le néant, sur ce qui est fluctuant et sans repère, sur des sentiments et des impressions ; c’est surtout mettre de côté le trésor et le roc qu’est Dieu, ainsi que le prochain.

Pour construire sur le roc, il faut faire le choix de ne pas se construire par soi-même et autour de soi-même, mais bien de savoir recourir à Dieu et au prochain ; c’est marcher à la lumière de l’Église et de sa tradition.

La rencontre de Dieu, de l’Église, du prochain, mettra en lumière les pièces sombres de nos maisons, de nos cœurs. Zachée n’était pas opposé à cela. Il était allé à Jésus avec un cœur ouvert, prêt à écouter sa parole, et non pas avec la volonté de garder ses trésors, ses pratiques.

À la mesure de son offrande à la lumière, la rencontre avec Jésus va bouleverser sa vie de façon concrète et radicale. Le publicain autrefois avare prend une résolution : « Je donne aux pauvres la moitié de mes biens, et si j'ai fait du tort à quelqu'un, je lui rends le quadruple. » (Lc 19,8)

En ouvrant sa maison et son cœur à la présence de Jésus, la maison de Zachée s’ouvre à l’existence du prochain. Désormais, Zachée n’est plus seul. Celui qui était centré sur lui-même devient lui-même miséricordieux après avoir reçu la miséricorde.

Jésus admire : « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham. » (Lc 19,10) De fait, le lourd rideau s’est levé qui enfermait, étouffait cette maison et ses habitants. Le salut, le Christ Soleil de justice, sont entrés dans cette maison.

L’âme de Zachée, où Jésus a fait désormais sa demeure, est devenue une part de la Jérusalem céleste qui descend du ciel comme un don de Dieu pour chaque homme, et qui est en construction, selon les paroles de l’auteur de l’Apocalypse :

Voici la demeure de Dieu avec les hommes; il demeurera avec eux, et ils seront ses peuples, et lui- même, Dieu avec eux, sera leur Dieu. (Ap 21,2-3)

Zachée n’aura plus besoin de sortir de sa maison pour aller rencontrer Jésus. Le Seigneur est là, en son cœur. C’est là aussi qu’il rencontre le prochain qu’il redoutait tant, afin d’apprendre à lui faire miséricorde. Ce faisant, Zachée devient apôtre.

Que Notre-Dame, Mère des âmes et Reine des cœurs, intercède pour nous. Qu’elle nous obtienne d’accueillir son Fils en nos maisons, afin qu’il demeure en nous et que le monde demeure en lui.

Amen.

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Rédigé par Philippe

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Publié le 19 Septembre 2023

 

 

 

 

SOIXANTE-QUINZIÈME ANNIVERSAIRE DE LA RESTAURATION BÉNÉDICTINE À FONTGOMBAULT

Homélie prononcée par le Révérend Père Augustin Pic, o.p. Fontgombault, le samedi 9 septembre 2023

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Révérendissime Père, Père vicaire général de ce diocèse, chers Pères et Frères, chers Messieurs Prêtres et Chanoines, chères Familles, chers Amis de l'Abbaye, nous voici rassemblés pour fêter les soixante quinze ans du retour de ce saint lieu à la grâce bénédictine qu'il avait perdue depuis 1741.

Merci, Révérendissime, de me faire ainsi l'honneur et la joie de parler ; merci mais que dire, entre ces incomparables murs et en un si beau jour, sur le mystère d'une présence divinement voulue et divinement rayonnante ? Que dire et sur quoi méditer ? Sur la règle de saint Benoît, joyau de l'Occident chrétien ? Mais qu'en apprendrait-on à gens qui la savent par cœur depuis toujours, et du même cœur en vivent ? Sur la solidité d'un monachisme qui, lorsque le malheur des temps le chasse de ses implantations originelles, y revient souvent tôt ou tard – alors que d'autres saintetés en effet lancent ceux dont c'est le charisme sur les routes du monde afin de gagner des âmes, celle des fils de saint Benoît est bien de consacrer, par le désir du ciel, la terre où le vœu de stabilité les fixe ? Excellent sujet, nul n'en disconviendra, mais on n'en finirait pas. Sur l'actualité de l'Abbaye et tout le bien qu'elle fait ? Mais la sainte modestie de ces messieurs Moines et de leur seigneur Abbé s'en offenserait peut- être, s'en offenserait sûrement.

Alors, que reste-t-il ? Il reste, bien chers Frères pourquoi non? les devises choisies par les Abbés depuis 1953, suite de formules spirituellement très riches. Chacune exigerait un sermon, certes, mais l'éclat de miel, empli de lumière et de force, que de chacune on tirera comme en passant, suffira bien pour rendre grâce ; comme aussi pour élever nos cœurs, tant pour les répandre en bonne odeur du Christ ici-bas et aujourd'hui, que pour les préparer à l'éternité.

Nous avons donc, avec dom Roux (1953-1962), Unum necessarium, sublime et tant aimée répartie de Jésus à Marthe. Seul compte en effet ce que Marie préféra : demeurer au pieds du Sauveur pour écouter Sa parole, unique et nécessaire. Mais ce premier Abbé de la renaissance n'aura pu ce faisant qu'avoir à l'esprit sa règle chérie, dont le prologue a pour mots- clefs, pour maîtres-mots, écoute et école. Le montrent bien les beaux entrelacs opérés par saint Benoît entre le psaume 94 et le psaume 33, où il n'est question que d'écouter et d'apprendre, pour ne rien dire de l'évangile qu'on vient d'entendre, dont c'est précisément la pointe. Écouter et apprendre, en effet, c'est là tout le monastère, là tout le monachisme. Si donc un Pontife romain ou un Abbé primat nous demandait quel patronage ajouter à l'Ordre bénédictin, si ce n'est déjà fait, nous répondrions sans hésiter, la sœur de Marthe ...

Avec dom Roy (1962-1977), voici donec dies elucescat – jusqu'à ce que resplendisse le jour : évocation, dans la seconde épître de Pierre, de la Transfiguration, dont ce prince des Apôtres avait été l'heureux témoin avec Jacques et Jean. Ils ont, dit-il, et vu la lumière incréée et entendu la voix paternelle. Et que dit cette voix paternelle ? Hic est Filius meus, ipsum audite – Celui-ci est Mon Fils, écoutez-le. Qu'ajoute l'auteur de l'épître après cela ? Ceci : firmiorem sermonem habemus, donec dies elucescat et lucifer oriatur in cordibus nostris – nous avons cette parole parfaitement solide jusqu'à ce que resplendisse le jour et que l'astre se lève en nos cœurs. Le lien se fait alors spontanément : l'Unique nécessaire est Celui qui admet Marie la sœur à son colloque, qui laisse Sa gloire embraser un instant la nuit du Thabor, tout autant que Sa chair d'homme et les vêtements qui la couvrent, Celui enfin qu'il faut écouter jusqu'à ce que vienne le jour. Notez bien le « jusqu'à ce que » – donec, car, entre cette Transfiguration où la ténèbre fut lumière autour des trois élus, et ce jour encore à venir, doit passer, en même temps que celui de l'histoire entière, tout le temps de nos vies. En ce jour d'il y a deux mille ans, la lumière ne fut que nocturne, passagère et entrevue quoique réelle, mais, en celui de la fin, elle s'offrira comme demeurant à jamais, et à posséder comme elle possède. En attendant, nous autres qui n'avons pas vu comme eux, mais croyons à leur témoignage, il nous faut faire comme eux ce qu'ordonna la voix, écouter. Si donc le même Pontife romain ou Abbé primat demandait quel autre saint patron de l'écoute ajouter à l'Ordre bénédictin, si ce n'est déjà fait, je répondrais sans hésiter, et vous avec moi, les trois du Thabor...

Il va sans dire que dom Roy et dom Forgeot (1977-2011) ne purent se concerter sur la devise que prendrait ce dernier, puisqu'un prédécesseur ne connaît pas son successeur. Une logique de fond n'en ressort pas moins de l'une à l'autre. En effet, s'il s'agit d'écouter et d'attendre jusqu'à ce que lèvent le jour et son astre, il s'agira du même coup de persévérer sous la grâce dans l'effort que précisément requièrent cette écoute et cette attente.

Rappelons que le premier effet de la grâce et le plus décisif est l'effort, le repos et la joie qu'elle apporte aussi venant par surcroît. C'est ce qu'exprime à merveille, donc, le programme de ce regretté troisième abbé que tout le monde ici je pense a connu et apprécié : ad superna semper intenti. Ce jour de l'unique nécessaire est un jour éternel, c'est à dire non de ce monde mais de l'autre, d'où la formule ad superna – vers les réalités supérieures. Mais dans semper intenti – toujours tendus vers ces réalités, il y a semper – toujours. Pourquoi semper ? Parce qu'il s'agit d'une tension permanente. Je vois déjà tout le monde ici en perdre le souffle autant que moi : permanente ! Pensez donc ! Mais il est, entre les tensions dont sont travaillés les mondains et celle dont dom Forgeot fit le feu de son âme et de son gouvernement, cette différence que vous m'accorderez que les premières sont labeur et souffrance et rien de plus, au lieu que la seconde, malgré le labeur et la souffrance, c'est entendu, est un repos. Comment cela, un repos ? Un repos, parce que pareille tension fait entrer en l'homme, en sa substance, la vérité qui rend libre et heureux, qui fait être vraiment soi-même en Dieu, et ce, même lorsqu'on y sent labeur et souffrance. Cela dit, semper intenti n'exclut certainement pas la détente. Quoi de plus joyeux, en effet – sans idéaliser, bien sûr – qu'une récréation ou promenade entre moines, de plus revigorant pour leurs hôtes que leur entrain et leur allant ? Si donc un Pontife romain ou un Abbé primat demandait quel patronage ajouter à l'Ordre bénédictin, si ce n'est déjà fait, l'on répondrait sans hésiter, Notre Dame de l'Assomption d'abord, puisque l'Abbaye lui est consacrée et que c'est de la collecte de Sa fête qu'est tirée la devise ; saint Paul, auteur de l'épître aux Philippiens, ensuite, dont elle s'inspire manifestement ; saint Augustin enfin, qui, sur la sainte tension, prêchait ceci : antequam perveniamus ad unum multis indigemus, unum nos extendat ne multa distendant et abrumpantur ab Uno – avant que nous ne parvenions à l'Un, nous avons besoin de beaucoup : que l'Un nous tende afin que le beaucoup ne nous distende et ne nous arrache à l'Un. Qui est cet Un ? Nul autre que le Dieu unique et Trinité, notre unique Nécessaire...

Enfin, le programme du présent abbatiat, de notre cher dom Pateau : Modo geniti infantescomme des enfants nouveau-nés. Devise qui dit tout sur le tout que forment consécration baptismale et consécration monastique, et pareillement tout sur l'esprit dans lequel il faut – et par là je récapitule – à la fois s'attacher à l'Unique nécessaire et attendre le jour de cet Unique en y tendant sans cesse. Si donc un Pontife romain ou un Abbé primat demandait quel saint patron ajouter à l'Ordre bénédictin, si ce n'est  déjà fait, nous répondrons sans hésiter, je pense, les enfants que Jésus a bénis en déclarant que le Royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent...

Unum necessarium Donec dies elucescat Ad superna semper intenti Modo geniti infantes : que reste-t-il pour les réalités matérielles ? Sont-elles sans importance, et Dieu dédaignerait-il d'être glorifié aussi par le souci que l'on prend d'elles, et par elles, du prochain qu'il faut servir ? Le travail manuel, autre splendeur de la vie bénédictine, comme le fonctionnement d'une abbaye que jalouseraient les entreprises d'aujourd'hui les mieux régies, viennent rappeler qu'il n'en est rien. Si donc un Pontife romain ou un Abbé primat demandait quel saint patron ajouter encore à l'Ordre bénédictin, si ce n'est déjà fait, je répondrais sans hésiter, la sœur de Marie. Laquelle des deux, en effet, aux pieds de Jésus quatre jours après la mort de Lazare, confessa la résurrection finale ? Non pas Marie, mais bien Marthe, aussi contemplative que sa sœur donc, alors que le Maître lui avait reproché de s'être inquiétée pour trop de choses...

Ainsi, que cet anniversaire ne mette pas seulement au fond de nous la fierté d'un endroit si beau, et le vœu de le voir durer autant que l’Église – qui toutefois a seule les promesses de la vie éternelle – mais encore et surtout un zèle ardent, chacun dans sa vocation, à nous laisser habiter comme saint Benoît par cet Unique nécessaire, à L'attendre, à son exemple, comme le jour véritable et ultime, à y tendre enfin comme lui, dans le divin mélange d'effort et de repos dont le Saint-Esprit seul a le secret, jusqu'à cette stature adulte que Jésus-Christ accorde à ceux, modo geniti infantes, qu'avec leur consentement et collaboration, ne cesse de renouveler l'enfance infinie de l'âme. Il y va de la gloire de Dieu en ce monde, et de la prédication à la multitude qu'Il cherche à sauver sans en perdre aucun.

Dans la sainte lumière de notre fête, que les jeunes hommes ici présents et libres de leur avenir s'interrogent en esprit et en vérité, pour discerner à quoi, peut-être, ils sont appelés. S'ils ne le font pas dans un lieu pareil, où le feront-ils ?

Révérendissime Père, bien chers Pères et Frères, que Notre Dame, Reine et Maîtresse à Fontgombault, avocate auprès de Dieu de ses abbés, moines, et bienfaiteurs défunts, que votre Patriarche saint Benoît aussi, bien sûr, veillent sur vous toujours, comme sur tous ceux que vous aimez et qui sont si heureux de vous aimer en retour.

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Rédigé par Philippe

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Publié le 16 Août 2023

Rédigé par Philippe

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Publié le 19 Mai 2023

 

 

 

 

 

Veni Sancte Spiritus !

 

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Rédigé par Philippe

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